YIDDISH (LANGUE, LITTÉRATURE ET THÉÂTRE)

YIDDISH (LANGUE, LITTÉRATURE ET THÉÂTRE)
YIDDISH (LANGUE, LITTÉRATURE ET THÉÂTRE)

Le yiddish est la principale langue utilisée au cours du dernier millénaire par les Juifs ashkénazes, c’est-à-dire les groupes juifs établis en Allemagne et en France depuis le temps de Charlemagne, en Bohême, en Pologne, en Lituanie, en Ukraine, et dans d’autres contrées de l’Europe orientale à partir du XIIIe siècle, ou en Hollande et en Italie du Nord au XVIe et au XVIIe siècle. C’est aussi la langue des nouvelles communautés ashkenazes dans le monde entier depuis que les migrations des Juifs d’Europe orientale les conduisirent notamment en Europe occidentale, en Amérique du Nord et du Sud, puis en Israël, à partir de la seconde moitié du XIXe siècle.

Le yiddish a fait l’objet de plusieurs appellations en différentes langues et dans la bouche de divers groupes de Juifs. Des textes anciens le nomment taytshallemand») ou déjà yidishjuif»). De vieilles sources rabbiniques en hébreu parlent de «langue d’Ashkénaz», c’est-à-dire langue d’Allemagne. Ivretaytsh désigne le langage archaïque employé pour traduire des textes religieux. Les scientifiques ont souvent employé la dénomination «judéo-allemand», parallèlement à «judéo-espagnol», etc. Ces expressions rendant mal compte de la spécificité des langues juives, les linguistes leur ont progressivement préféré «yiddish», «judezmo», etc. Dans leurs thèmes, mais aussi dans les formes qu’ils privilégient, littérature et théâtre reflètent l’aspect composite propre au yiddish. À leur manière, ils constituent la mémoire, d’une étonnante richesse d’invention, des tribulations et des drames qui ont touché, tout au long de l’histoire occidentale, la branche askhénaze du peuple juif.

1. Langue

De toutes les langues juives, le yiddish est celle qui a connu la plus large expansion géographique; aucune autre n’a été parlée par un nombre aussi important de personnes, en valeur absolue ou relative: onze millions (soit les deux tiers de tous les Juifs du monde) à la veille de la Seconde Guerre mondiale. C’est aussi la seule langue juive, hormis l’hébreu, qui ait atteint un tel degré de développement, puisqu’elle permet d’exprimer tous les contenus du style de vie et de pensée traditionnels, mais aussi de véhiculer le discours politique, scientifique ou littéraire des temps modernes.

Au cours du dernier demi-siècle, plusieurs facteurs contribuèrent à affaiblir la position du yiddish. Le génocide perpétré par les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale a anéanti plus de la moitié des populations qui le parlaient, et bouleversé pour les survivants les conditions de la transmission. L’assimilation linguistique – largement volontaire, mais aussi encouragée, voire forcée dans certains pays – en a éloigné les générations juives nées après la guerre. Mais le yiddish est toujours transmis en tant que langue maternelle au sein de certaines communautés, notamment en Amérique du Nord et en Israël, et il est très répandu, comme deuxième langue, parmi les Ashkénazes de tous les pays.

Fusion et différenciation

La vie juive traditionnelle, axée sur l’application des préceptes religieux, constitue un système culturel spécifique, complet et cohérent, qui ne saurait fonctionner en utilisant telle quelle une langue d’emprunt. L’hébreu ayant perdu son caractère de langage parlé dès avant l’ère chrétienne, d’autres langues juives, nées de sa fusion partielle avec celles de populations avoisinantes, l’ont remplacé dans cette fonction. La première fut le judéo-araméen, qui rejoignit plus tard l’hébreu comme langue réservée aux études, à la liturgie et à l’écrit en général. Par la suite, l’origine de toute langue juive peut être schématiquement décrite comme le résultat de la fusion de trois sortes de matériaux: (a ) des éléments de l’hébréo-araméen toujours vivants dans les domaines cités ci-dessus; (b ) des éléments de la langue (ou des langues) des populations environnantes; (c ) des vestiges d’un parler juif antérieur, apporté depuis d’autres pays au fil des migrations.

Dans le cas du yiddish, qui apparaît vers le XIe siècle dans les communautés juives de la Rhénanie, la composante (b ) est représentée d’abord par différents dialectes allemands au Moyen Âge et, plus tard, avec le déplacement vers l’est du centre de gravité des Ashkénazes, par les langues slaves, notamment le polonais, l’ukrainien et le biélorusse. Dans la composante (c ) entrent pour l’essentiel deux langues judéo-romanes, l’une à base de français, l’autre à base d’italien. Pendant le XIXe siècle, le yiddish a également assimilé beaucoup du vocabulaire dit international, surtout composé de mots néo-grecs ou néo-latins couramment employés dans la terminologie politique, technologique ou scientifique.

La fusion de ces composantes est un processus long et complexe, qui implique des opérations de sélection sur le patrimoine des langues sources et des changements concernant tous les aspects du yiddish, qu’ils soient d’ordre phonétique, sémantique, morphologique ou syntaxique. Ainsi, tous les mots des langues sources ne sont pas nécessairement familiers au groupe juif où le yiddish est en train de se former. Au sein même du vocabulaire connu, certains mots sont inutiles et d’autres rejetés à cause, par exemple, de leur forte connotation chrétienne.

Le traitement phonétique du vocabulaire adopté est semblable pour toutes les composantes: qu’elle figure dans un mot provenant du moyen-haut allemand, de l’hébreu ou du slave, chaque voyelle subit toujours la même évolution. Le changement sémantique affecte la plus grande partie du vocabulaire emprunté aux langues sources, mais est particulièrement frappant dans les très nombreuses expressions concernant des aspects de la vie traditionnelle: praven tish (un mot d’origine slave et un autre d’origine allemande; la signification littérale en est «célébrer table») désigne en fait le comportement du rabbi hassidique lorsqu’il dispense son enseignement; tsholnt (d’origine française ancienne, «chaud») nomme un plat sabbatique préparé dès la veille pour tenir compte de l’interdiction d’allumer le feu le jour de repos.

Le trait le plus typique de la fusion opérée en yiddish se trouve dans la flexion verbale ou nominale, qui s’applique indistinctement aux différents mots, quelle qu’en soit l’origine: des racines étymologiquement hébraïques ou slaves se conjuguent à l’aide de désinences d’origine germanique; des noms de souche romane ou allemande ajoutent au pluriel des suffixes de forme hébraïque.

Toujours sur le plan grammatical et morphologique, on remarque de nombreux mots empruntés à l’hébreu qui ont changé de genre et parfois aussi de forme plurielle: shabessabbat») devient masculin et prend la forme shabosim au pluriel; mikve («bain rituel») et matbeye («pièce de monnaie»), qui deviennent féminins. Le yiddish ayant conservé les trois genres grammaticaux de l’allemand pour les noms, beaucoup de mots venus de l’hébreu, où il n’y a que deux genres, se sont vu imposer le neutre.

Par ailleurs, on trouve en yiddish des mots qu’on cherchera en vain dans les langues auxquelles ils semblent empruntés: khaleshn («s’évanouir») procède évidemment de la racine hébraïque signifiant «faible, faiblesse», mais son sens yiddish semble inspiré par un ancien verbe allemand aujourd’hui disparu; l’allemand a donné au yiddish le nom kenigroi»), mais c’est sur le modèle hébreu qu’on a créé un verbe kenign («régner»); unterzogn («souffler des mots à quelqu’un») a ce sens en yiddish grâce à deux éléments germaniques qui ont été unis selon le modèle d’un verbe slave.

En ce qui concerne la syntaxe, le yiddish, tout en demeurant proche de la phrase allemande, a beaucoup réduit la distance qui existe entre le nom et ses déterminants comme entre les parties de la phrase verbale.

Contrairement à une idée répandue, le yiddish n’est donc pas le résultat de l’addition d’un certain nombre de composantes linguistiques, mais le produit de leur fusion, imprévisible à partir de la seule connaissance des langues sources. Cela rend incertains les calculs qu’on fait sur la part qui correspond à chacune d’elles. Cette réserve énoncée, on peut parler d’environ 70 à 80 p. 100 d’éléments d’origine allemande, de 15 à 25 p. 100 d’origine hébraïque et de 5 à 10 p. 100 d’origine slave.

Rôle par rapport à l’hébreu

Une autre idée reçue veut que le yiddish et les autres langues juives post-talmudiques n’aient servi dans la société juive traditionnelle que pour les besoins de la vie quotidienne, tandis que la sphère religieuse aurait été réservée à l’hébreu-araméen.

Sans disputer à l’hébreu son statut de langue sacrée, le yiddish a sa place dans le domaine des études et de la liturgie. La lecture biblique ou talmudique se pratique certes dans le texte, mais les commentaires oraux, les discussions, les exposés savants et parfois même certaines prières, surtout parmi les femmes, se font en yiddish. Parallèlement, l’hébreu sert aussi à rédiger des documents civils et commerciaux, des correspondances privées, etc. La seule distinction valable est donc celle qui sépare l’hébreu, langue exclusivement écrite, du yiddish, langue parlée et écrite.

La composante hébréo-araméenne du yiddish n’a pas non plus l’exclusivité du domaine religieux. Elle y est prédominante, mais non point hégémonique. Par ailleurs, les mots d’origine hébraïque ne sont pas absents des autres registres de la langue, y compris le vulgaire et le scatologique.

Évolution historique

À l’instar des autres langues juives, le yiddish s’écrit avec les caractères de l’alphabet hébreu. La plupart des mots d’origine hébréo-araméenne gardent leur écriture traditionnelle; pour tous les autres, la correspondance entre lettres et sons est presque parfaite. La norme actuelle, élaborée en 1936, laisse subsister quelques variantes.

L’absence ou la rareté de textes yiddish des premières époques (le premier témoignage écrit date de 1272) constitue une difficulté majeure pour l’étude de l’histoire de la langue. L’idée qu’on s’en fait pour les premiers trois siècles repose largement sur des témoignages indirects, des inférences et déductions accomplies à partir de ce qu’on connaît des langues sources, ou encore sur des reconstructions faites à partir du yiddish parlé moderne. Le schéma historique généralement accepté partage l’évolution de la langue en quatre périodes: jusqu’en 1250, on parle de «proto-yiddish» pour désigner l’époque antérieure à la prise de contact avec les langues slaves. Les mécanismes de fusion commencent à jouer. Dans la période du yiddish ancien (1250-1500) ont lieu en Bohême et en Pologne les premières rencontres avec les langues slaves. Une littérature naît (poésie, traductions de la Bible), dans laquelle on observe une relative uniformité linguistique. À l’époque du yiddish moyen (1500-1700) a lieu la différenciation entre le vieux tronc occidental de la langue et les nouveaux dialectes dans l’aire slave. C’est le déclin du yiddish à l’ouest qui caractérise le début de la période moderne vers 1700. Les Juifs d’Allemagne, attirés par l’idéologie rationaliste et assimilationniste, adoptent volontiers la langue du pays. Plus à l’est, à la même époque, l’importance du yiddish s’accroît. Dans l’usage écrit, une nouvelle norme, mieux adaptée à l’évolution de la langue, se généralise vers 1820. L’épanouissement de la littérature et de la presse contribuera puissamment, au XIXe siècle, à enrichir le vocabulaire et les possibilités d’expression, mouvement accentué par le développement d’une idéologie dite yiddishiste qui inspirera, dès avant la Première Guerre mondiale, une production linguistique normative et un système scolaire.

Dans le yiddish parlé actuel coexistent plusieurs dialectes liés à l’origine géographique des locuteurs. Le groupe des dialectes du Nord (Lituanie, Biélorussie) diffère de celui du Sud (Pologne, Volynie, Ukraine, etc.) essentiellement par le système vocalique. Pour l’enseignement, on a généralement adopté une norme de prononciation fondée sur le yiddish du Nord, tandis que le théâtre employait le dialecte de Volynie.

2. Littérature

La littérature yiddish est à l’image du peuple dont elle est l’expression. La principale caractéristique de ce peuple est son existence diasporique, celle de sa littérature est d’avoir essaimé dans le monde entier. La branche ashkénaze du peuple juif connut plusieurs centres importants, il en fut de même de la littérature yiddish. La carte littéraire de la yiddishophonie se déplaça de l’Europe de l’Ouest à l’Europe de l’Est, puis, à partir de la fin du XIXe siècle, elle gagna de nouveau l’Europe occidentale, s’étendit aux États-Unis et, à un moindre degré, à Israël, non sans avoir jeté des points d’ancrage dans de multiples autres pays. La littérature yiddish est donc par nature pluricentriste. Elle est également à l’image de la langue qu’elle utilise et qu’elle élabore. Le yiddish est une des langues créées par les Juifs en Diaspora. Le plurilinguisme, une des caractéristiques essentielles du groupe, comprend trois paliers:

– L’hébreu (et l’araméen) reste une langue sacrée liturgique, savante: langue de l’unité dans la diversité juive.

– La langue du pays d’accueil répond aux besoins de contact du groupe aussi bien sur le plan matériel que culturel.

– L’élaboration des langues juives, langues de fusion (judéo-espagnol, judéo-arabe, judéo-persan, judéo-provençal, yiddish), permet d’adapter les idiomes locaux aux exigences de la vie interne.

Aucune de ces langues ne connut une durée, une diffusion et un degré d’élaboration aussi importants que le yiddish, aucune n’a donné une littérature aussi variée et aussi abondante. Celle-ci a une double orientation, ou plutôt un double enracinement, dans le domaine spécifiquement juif et dans le domaine culturel du pays d’accueil. C’est en mêlant ces deux éléments qu’elle acquiert son autonomie et son originalité. La littérature yiddish est donc, comme la langue, une littérature de contact et de fusion.

Cette situation définit l’ambivalence de son statut. L’existence d’un corpus de textes sacrés en hébreu donne d’emblée à la littérature hébraïque ses lettres de noblesse comme médium de l’expression intellectuelle. La littérature yiddish, elle, s’adressa tout d’abord aux masses juives qui n’avaient pas accès à l’hébreu, aux moins instruits, aux femmes. Elle est donc avant tout, par ses origines, une littérature populaire, même si elle acquit par la suite un haut degré d’urbanisation et de raffinement.

Comme l’origine de son lectorat, celle de l’écrivain yiddish est le plus souvent plébéienne. Il n’appartient pas à une couche sociale que son érudition constitue en caste du savoir (comme souvent pour la littérature rabbinique) ni à une catégorie sociale dégagée par la bourgeoisie (comme dans les littératures occidentales), mais à une intelligentsia, la plupart du temps autodidacte, issue des masses mêmes qu’elle se donne pour mission d’éduquer. Le statut de l’écrivain yiddish est donc particulier: il est à la fois partie intégrante du peuple et son guide spirituel, ce qui explique l’immédiateté du rapport, la connivence, la complicité entre lecteur et auteur (sauf pour les dernières générations déjà occidentalisées).

Le génocide nazi, en exterminant six millions de Juifs, anéantit la plus grande partie du lectorat et des écrivains yiddish en Europe, bouleversant les données qui viennent d’être posées.

La littérature yiddish ancienne

Les communautés juives établies dans la vallée du Rhin depuis l’époque romaine avaient forgé comme langue véhiculaire le yiddish, mélange de moyen haut allemand et d’hébreu-araméen: leur existence relativement prospère fut ébranlée à partir des premières croisades, mais essentiellement après l’épidémie de la peste noire (1348). Ce fut l’origine de nouvelles migrations vers l’Italie du Nord, la France, la Bohême, et surtout la Pologne où, à partir de 1551, le privilège d’une juridiction autonome fut accordé aux Juifs. Ainsi l’Europe orientale devenait le centre le plus important de la vie juive.

Cependant, la littérature yiddish, née dans les communautés rhénanes, continua pendant plusieurs siècles à se développer dans les pays et les dialectes de l’Europe de l’Ouest. Marquée par les échanges entre la tradition sacrée juive et le monde chrétien environnant, elle s’organise, selon la critique classique, en deux grands ensembles.

Littérature courtoise et épique

La littérature courtoise du monde féodal germanique fut largement connue et diffusée parmi les Juifs dont la situation économique, politique et juridique fut relativement favorable jusqu’au milieu du XIVe siècle.

Les premiers écrits en yiddish, dont il reste peu de traces, semblent avoir été des translitérations, des traductions ou des adaptations de cette littérature courtoise et épique. Celle-ci était créée et diffusée par deux sortes de chanteurs-poètes ambulants (Spielman ): le poète courtois et épique et le bouffon, parfois réunis en une même personne. Ces œuvres étaient lues, chantées, psalmodiées dans les cours des synagogues, sur les marchés, dans les tavernes et les cérémonies familiales. Le public semble en avoir été très large, allant des couches populaires jusqu’aux érudits dont certains écrits attestent cette influence (ainsi un recueil de poèmes de Menahem Oldendorf, né vers 1450).

Trois catégories d’œuvres marquent cette littérature. Dans la première, tous les matériaux sont d’inspiration germanique, empruntant thèmes et héros aux «dits héroïques» et aux romans courtois. La plupart de ces œuvres ne nous sont pas parvenues, sauf indirectement à travers les écrits de leurs détracteurs, en lutte contre l’influence néfaste de ces «livres stupides» qui inondaient le marché littéraire yiddish au XVIe siècle (Herzog Ernst , Dietrich von Bern , Maister Hildenbrandt , Wieland der Schmidt , Tristan und Isolde ...). Le seul ouvrage qui soit arrivé jusqu’à nous est l’Artus Roman qui date probablement du XIVe siècle et qui connut de nombreuses éditions dont il subsiste trois exemplaires.

Les simples translittérations ou traductions semblent s’être tout de suite transformées en adaptations grâce aux omissions, changements ou inversions de certains motifs. On sait que les scènes de batailles sanglantes, les descriptions des vêtements et des armures, les allusions érotiques étaient expurgées, en revanche, les éléments moraux étaient mis en valeur.

La deuxième catégorie prend pour héros de ces romans de chevalerie des personnages de la Bible ou de l’histoire juive: Shmuel Bukh (Livre des Rois , Augsbourg, 1543), Josué (Mantoue, 1562), Juges (Mantoue, 1564), Isaïe (Cracovie, 1586), Daniel (Bâle, 1557). D’autres poèmes encore s’inspiraient des Rouleaux ou du sacrifice d’Isaac (Akedah ).

Mais il appartenait à un auteur de l’école italienne, Eliyohu Bokher Levita, de porter cette littérature courtoise à son apogée. Érudit, humaniste de renommée, il donna entre autres œuvres une traduction des Psaumes et deux poèmes courtois, Bove d’Antona et Paris un Viene , dont le premier surtout connut un retentissement considérable et de multiples rééditions jusqu’au XIXe siècle.

Parallèlement à ce genre, on vit naître de grands poèmes historiques (Lid ) qui évoquaient des événements contemporains, décrivaient les péripéties, les souffrances, les vicissitudes de telle ou telle communauté juive. Ils remplissaient une double fonction, offrant une méditation sur le destin du groupe et faisant circuler l’information d’un lieu à un autre grâce aux chanteurs ambulants qui les mettaient en musique (Megiles Vinz notamment). De ce genre extrêmement populaire, entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, il subsiste actuellement une quarantaine d’œuvres.

Littérature liturgique homilétique et édifiante

Pendant toute cette période, la vie religieuse juive n’avait pas perdu ses droits dans la littérature yiddish naissante. Elle trouva d’abord son expression dans la prolifération des marginalia , des gloses sur les Textes sacrés, des responsae rabbiniques et des traductions, simples mot à mot se libérant progressivement pour tenir compte des caractéristiques de la langue d’aboutissement (Les Psaumes de 1490). Le canon de la liturgie juive avait été fixé avant la naissance de la littérature yiddish: seules les prières en hébreu-araméen étaient admises à des fins de dévotion. Les traductions qui se multiplièrent au XVe siècle ont pour but de rendre celle-ci compréhensible (la première publication d’un livre de prières complet date de 1544). Mais en dehors du canon liturgique apparaît la prière personnelle (Tkhine ), dont le contenu varie suivant les circonstances et les personnes. Ces textes, souvent écrits pour des femmes, parfois par des femmes, sont marqués par un ton de simplicité, de sincérité, de sentimentalité aussi. Il en existe de multiples recueils à partir du XVIe siècle.

Avec le changement des conditions sociales et des goûts en matière littéraire, avec le déplacement du centre de gravité de la vie juive vers l’Europe orientale, la prose surtout homilétique et édifiante remplace la poésie courtoise. C’est alors (vers 1590) que Rabbi Jacob ben Isaac Ashkenazi de Janow compose un des textes le plus largement diffusés et lus jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale, surtout par les femmes juives, Ze’ena-u-Renah («Sortez et Regardez»). Cette adaptation du Pentateuque, à laquelle se mêlent des contes, des homélies, des Midrashim, des commentaires, des paraphrases des Rouleaux, fond en un tout organique l’élément didactique et narratif. Un second ouvrage moins populaire, Ha-Maggid , présente une traduction des Livres des Prophètes avec une paraphrase du commentaire de Rashi.

La littérature édifiante (Musar ) utilise constamment les éléments traditionnels du monde juif et les éléments narratifs (nouvelles, contes, fables) du monde environnant. Ce sont des écrits au style simple et clair, insérés dans la vie quotidienne, avec des composantes réalistes et moralisantes (Orkhot Tzadikim , 1581, Brantspiegel de M. H. Altschuler, 1602; Lev Tov d’Isaac O. Eliakum, 1620; Simkhes-ha-Nefesh d’A. H. Kirhan, 1707) et des composantes fantastiques empruntées aux contes talmudiques et midrashiques, ainsi qu’aux légendes et superstitions locales (Mishley Shualim , Fribourg, 1585; Ku Bukh , Vérone, 1595). Cependant, les œuvres dominantes de la littérature édifiante de l’époque sont le Ma’aseh Bukh (Bâle, 1602), recueil de 257 contes talmudiques et midrashiques et de 25 légendes du cycle de Regensburg, et le Ma’aseh Nisim (Amsterdam, 1696), avec ses légendes locales et ses héros historiques.

Participant du genre fantastique, paraissent des récits de voyage, réels ou imaginaires, et du genre didactique et narratif des mémoires, tels ceux de Gluckel von Hameln (1645-1724?). Elle fut la première mémorialiste femme de langue yiddish. Son œuvre, marquée par une grande sensibilité et une intelligence aiguë, apporte des renseignements précieux sur la vie des juifs de Hambourg aux XVIIe et XVIIIe siècles et sur leur réaction au mouvement messianique de Sabbatai Zevi.

La langue littéraire qui s’était fixée au cours des XVIe et XVIIe siècles resta figée dans ses normes sous prétexte de lisibilité dans les deux sphères juives. En réalité, un hiatus s’était introduit entre la langue écrite (essentiellement en Europe de l’Ouest) et la langue parlée (surtout en Europe de l’Est où la concentration juive était la plus forte).

La fin du XVIIIe siècle qui est, en Europe occidentale, celui des Lumières et de l’émancipation, marque le déclin de la littérature yiddish dans cette partie du monde. Un processus d’assimilation linguistique s’y déclencha, qui fit passer le centre de gravité de la littérature yiddish à l’Est. C’est à partir de cette époque que l’on date la naissance de la littérature yiddish moderne, écrite pour l’essentiel dans les dialectes d’Europe orientale.

La littérature yiddish moderne

De ses débuts à la Première Guerre mondiale

Le XVIe siècle et le début du XVIIe avaient été l’âge d’or de la judaïcité polonaise. Le milieu du siècle fut au contraire une époque de terreur et de massacres (1648: les massacres du Chmielnicki), d’espoirs messianiques déçus (apparition du faux Messie Sabbatai Zevi, 1665) suivis d’une réaction rabbinique qui renforça le rigorisme et le formalisme religieux. Les aspirations populaires se traduisirent par un mouvement revivaliste et mystique: le hassidisme. Celui-ci se diffusa largement dans la population juive qui, malgré le partage de la Pologne à la fin du XVIIIe siècle, gardait une très grande unité culturelle.

Le hassidisme et la littérature yiddish

En utilisant le yiddish pour propager leur foi et leur message, les rabbis hassidiques en renforcèrent le prestige, lui conférant le statut d’expression religieuse. Bien que les œuvres qui en sont issues soient limitées quantitativement et formellement, leur empreinte et leur influence restent indélébiles. Les écrits s’organisent en deux ensembles: les hagiographies à la gloire des fondateurs et des chefs spirituels du hassidisme, relatant les faits et gestes miraculeux des rabbis (Shivkhei-ha-Besht , 1815), et les paraboles, contes, récits mystiques, tels ceux de Rabbi Nahman de Brazlav (1772-1810). Leur lyrisme, leur symbolisme, la richesse, la souplesse de cette langue drue et idiomatique contribuèrent à éveiller l’imagination populaire et à forger un instrument narratif nouveau.

La Haskala ou mouvement des Lumières

Le hassidisme marquait la littérature yiddish du sceau de l’imagination, la Haskala voulait apporter à la vie juive le rationalisme des encyclopédistes. Pour cela, malgré sa préférence pour les langues des pays d’accueil ou la langue «noble», l’hébreu, elle dut adopter, elle aussi, le «jargon» des masses. Son premier but en Europe de l’Est fut de combattre l’«obscurantisme» des Hassidim. Mais cette phase fut bientôt dépassée, et la Haskala se consacra à une critique de la vie étriquée, des institutions désuètes du groupe. Les transformations économiques, la libéralisation politique de la Russie avaient fait naître de grands espoirs qui poussèrent les Maskilim à introduire des thèmes généraux dans leurs œuvres, dénonçant l’injustice, la pauvreté des masses, face au pouvoir répressif de l’oligarchie du Kahal, jugée tyrannique et rétrograde. À cette société étriquée et «attardée», ils opposaient les valeurs «civilisatrices», les «vastes horizons» des nations environnantes. La littérature yiddish devint le champ clos où se livra cette bataille, et elle en fut la grande bénéficiaire, développant à un rythme accéléré tous les genres: écrits journalistiques, pédagogiques et de vulgarisation, traduction des grands auteurs européens, création de nombreuses œuvres littéraires.

Le théâtre apparut au début comme le moyen privilégié pour diffuser les idées nouvelles, offrant une transition commode entre les éléments folkloriques et l’élaboration littéraire. Après la publication, en 1816, d’une comédie anonyme, Di Genarte Velt , de nombreux auteurs de l’époque s’essayèrent à ce genre. Mais c’est Avrom Goldfaden (1840-1908) qui fut le véritable fondateur du théâtre yiddish. Après avoir publié plusieurs recueils de poèmes que les Broder Zinger, chanteurs et théâtreux ambulants, avaient popularisés, il fit leur connaissance en Roumanie à Jassy, et c’est là qu’il créa une troupe pour laquelle il commença à écrire des textes et à faire les mises en scène (Rekrutn , 1876). Sa verve satirique et comique s’exprima dans des pièces comme Di Beydé Kunilemel (Varsovie, 1887), Kenig Akhashveros (1870), Der Mishugener Filosof (1902). Il s’attacha, avec un succès égal et un retentissement peut-être plus grand encore, à des thèmes de l’histoire juive, dans le but d’exalter l’esprit et la conscience nationale du peuple: Shulamis (1883), Bar Kokhba (1887).

En l’absence de maisons d’édition, la presse et la poésie comme les écrits philosophiques et politiques sont diffusés par des revues de plus en plus nombreuses (Hamaguid , Kol Mevaser , Yidishe Folksblat , Der Yud , Der Fraïnt , Yom-Tev Bletlekh ). Tandis que les œuvres de Mendel Leffin, Joseph Perl, I. Axenfeld, I. J. Linetsky, I. B. Levinsohn restent sur le plan thématique confinées à la satire antihassidique et sur le plan formel limitées par un didactisme appuyé, S. Ettinger atténue la virulence de la critique et élargit ses préoccupations. Quant à Isaac Meyer Dick, il réussit, par ses innombrables contes, nouvelles et romans, à établir un lien entre la traditionnelle littérature édifiante et les nouveaux courants. Cependant, le mérite le plus grand peut-être de la Haskala est d’avoir préparé un terrain propice pour la littérature en éduquant un nouveau lectorat et en dégageant de ses rangs trois auteurs qui devaient s’élever largement au-dessus de cette production et devenir une source d’inspiration pour les générations à venir.

Les trois piliers de la littérature yiddish

Mendélé Mokher Seforim (1836-1917), Cholem-Aleikhem et Itzhak Leiboush Peretz atteignirent leur maturité littéraire au moment où la Haskala recevait un démenti cuisant du monde environnant, dont elle avait prôné les valeurs «civilisatrices», à une époque où le mouvement des Lumières connaissait une amère désillusion et où s’effondraient la plupart de ses idéaux. L’assassinat d’Alexandre II inaugurait une période de réaction qui se concrétisa, pour les Juifs, par les lois de mai 1882 qui balayaient tout espoir d’accession à l’égalité des droits et par une série de pogroms sanglants. Cette situation dramatique eut plusieurs conséquences. Elle déclencha en premier lieu une vague d’émigration, vers les États-Unis surtout. Elle donna naissance ensuite à plusieurs courants politiques et idéologiques qui firent prendre de nouvelles orientations à la littérature yiddish. Le mouvement sioniste, utopique d’abord, puis politique (premier congrès de Bâle, 1897), stimula surtout des œuvres en hébreu mais aussi en yiddish, ne fût-ce que pour des raisons de lectorat plus large. Le mouvement folkiste, qu’on appellerait nationalitaire aujourd’hui, prôna une vie nationale en Diaspora, enfin, et surtout, le mouvement ouvrier juif, qui commença dès cette période une activité politique la plupart du temps clandestine, s’organisa en 1897 avec la fondation du Bund qui défendait des positions d’autonomie culturelle. C’est dans cette atmosphère que se tint en 1908 la conférence de Czernowitz qui proclama le yiddish langue nationale juive; c’est dans cette atmosphère que furent écrites les œuvres les plus importantes de l’époque.

Mendélé Mokher Seforim (Mendélé le colporteur de livres) fut au début de sa carrière un des porte-parole de la Haskala. Ses œuvres (romans, nouvelles, pièces de théâtre), parues en feuilletons dans les revues hébraïques et yiddish, mettent en scène les milieux les plus divers de la société juive de l’époque dont il avait acquis une profonde connaissance au cours d’un périple qu’il fit à dix-sept ans en compagnie d’un personnage haut en couleur, Avrémélé le boiteux, charlatan et mendiant qui l’entraîna pendant toute une année dans sa vie errante et qui servit de prototype à son Fishke le boiteux. Ses œuvres les plus célèbres, Le Petit Homme , L’Anneau magique , Les Voyages de Benjamin III , le roman autobiographique Shloime Reb Haïm’s , les pièces de théâtre La Dîme , La Conscription , révèlent un écrivain conscient de son art, possédant une rare maîtrise de la langue, un sens profond de la satire sociale et psychologique ainsi qu’une grande sensibilité aux beautés de la nature qu’il fut le premier à introduire dans la littérature yiddish.

Cholem-Aleikhem (1859-1916) est l’écrivain le plus lu, le plus aimé et probablement le plus original de la littérature yiddish. Auteur extrêmement fécond et divers, il campe dans des monologues inoubliables les personnages les plus caractéristiques du monde semi-rural juif de la fin du XIXe siècle. Tevie le laitier , qui incarne la sagesse et les ressources de l’auto-ironie face aux souffrances et aux vicissitudes de la vie; Menahem-Mendl qui, par son échange épistolaire avec sa femme Cheïné-Cheïndl, devint le prototype du luft-mentch , cet homme acculé à vivre d’expédients, d’espoir et de l’air du temps; Mottel, fils du chantre , le garçonnet qui trompe la misère matérielle et la détresse morale par l’inventivité et la fraîcheur de l’enfance. La marque caractéristique de cette œuvre est un humour empreint de tendresse, profondément enraciné dans la sensibilité et le parler du peuple que Cholem-Aleikhem réussit à styliser avec un rare bonheur, jouant sur le trilinguisme juif (ici yiddish, hébreu et slave), mêlant avec une liberté débridée les textes sacrés et les dictons populaires.

Itzhak Leiboush Peretz (1852-1915) fut de tous les trois l’auteur le plus sensible aux influences européennes auxquelles Varsovie, sa ville d’adoption, était largement ouverte. Tempérament inquiet, passionné, novateur, il ne cessa d’expérimenter dans les différents genres littéraires dans lesquels il s’illustra. C’est en tant qu’essayiste, conteur et dramaturge que sa contribution fut la plus importante. Son humanisme et sa générosité le portèrent tout d’abord vers les courants socialistes qui se faisaient jour alors, puis vers un romantisme national qui en fit un des animateurs du yiddishisme exprimé par la conférence de Czernowitz. Mais avec une lucidité étonnante, il perçut les limites des diverses idéologies pour résoudre les problèmes de la judaïcité de son époque. C’est finalement dans les valeurs traditionnelles incarnées par le hassidisme qui, selon lui, exprimait ce qu’il y avait de plus noble et de plus proche de l’âme du peuple, qu’il voyait une source de vie et de régénération spirituelle, tout en sachant l’impossibilité radicale de ce retour. Ainsi naquit le néo-hassidisme, plus éthique que religieux, et dont l’influence est loin d’être tarie dans la pensée et l’écriture juives modernes. L’œuvre de Peretz tire sa richesse de ces contradictions mêmes qui marquent ses Contes populistes , ses Contes hassidiques , ainsi que ses drames lyriques, La Chaîne d’or , L’Enchaîné , La Nuit sur le vieux marché .

Autour de la personnalité exceptionnelle de I. L. Peretz, toute une pléiade de jeunes auteurs se réunit, qu’il encouragea sans jamais essayer de les modeler. Avec la Première Guerre mondiale et ses conséquences, la création d’un État polonais indépendant, la révolution russe, la mort de I. L. Peretz, de Cholem-Aleikhem et de Mendélé Mokher Seforim, une page de la littérature yiddish était tournée. Il existait désormais trois centres distincts de création en langue yiddish qui, suivant les époques et les circonstances, entretenaient des relations plus ou moins serrées ou perdaient tout contact.

L’entre-deux-guerres

La littérature yiddish aux États-Unis

La création en langue yiddish apparut aux États-Unis dès la fin du XIXe siècle. Mais elle ne prit son essor qu’avec les vagues successives d’immigration qui portèrent cette communauté à plusieurs millions d’âmes et son autonomie véritable seulement au cours des événements qui bouleversèrent et ravagèrent la vieille Europe. Quelles que fussent son originalité et son indépendance, on ne peut perdre de vue qu’il s’agit d’une littérature d’immigrés, dont les racines restent européennes.

Le théâtre fut, dans la première phase, l’aspect peut-être le plus dynamique de la création yiddish sur le nouveau continent.

Les autres genres de la littérature yiddish, qui posaient des problèmes beaucoup plus complexes, furent comme enfantés par la presse qu’on vit proliférer dès les premières décennies. Cette presse à tendance socialisante ouvrit d’abord ses colonnes à des auteurs prolétariens. Trois poètes en particulier, Morris Vintchevsky, Morris Rosenfeld et Dovid Edelstadt, s’attachèrent à peindre la détresse, l’exploitation de l’ouvrier broyé par le «capitalisme sauvage» et à lancer leur appel à la révolution.

Les prosateurs, tels que Leon Kobrin, peignaient la vie des immigrants, les conflits sociaux et évoquaient assez maladroitement les difficiles problèmes de l’acculturation. L’arrivée à New York de prosateurs, dont le métier et la renommée étaient déjà solides (Avrom Reisen, par exemple, et de nombreux disciples de Peretz), furent d’un apport considérable pour cette littérature. Leur création s’investit essentiellement soit dans des romans historiques (épisodes de résistance et de lutte du peuple juif ou grandes fresques familiales), soit dans des romans réalistes ou naturalistes évoquant la vie quotidienne et contemporaine. Joseph Opatoshu (1886-1954) s’illustra dans les deux genres et porta à la perfection le roman historique (Un jour à Regensburg , La Dernière Révolte , Dans les forêts de Pologne ). Dans ses nouvelles, avec un sens aigu du réalisme et de l’humour, il présente toutes les couches sociales de la population juive et non juive de son pays natal (Les Contes de Mlava , Le Roman d’une fille de la forêt , Le Roman d’un voleur de chevaux ). Une sorte de vitalité, de jubilation d’écrire se dégagent de la plupart de ses œuvres. I. J. Singer (1893-1943) donna avec Les Frères Ashkenazi une chronique familiale où tous les fils d’une intrigue aux personnages et aux époques multiples sont maintenus de main de maître. Yoshe Kalb présente sa vision de la désintégration du hassidisme.

Chalom Asch (1880-1957) fut un romancier prolixe à l’inspiration versatile. Son registre très varié le fit passer d’une écriture lyrique proche de I. L. Peretz (Dos Shtetl ...) à des romans d’une veine réaliste (Motke Ganev ). Le genre de la fresque sociale lui inspira sa trilogie (Avant le Déluge ). Mais c’est le genre historique qui le retint le plus souvent avec des œuvres d’inspiration juive (La Sanctification du Nom , La Sorcière de Castille , Le Juif aux Psaumes ) ou d’inspiration christique (Marie , Le Prophète , Le Nazaréen ).

Isaac Bashevis Singer (1904-1991) peint dans Le Manoir , Le Domaine , La Famille Moskat , de manière réaliste, la lente décadence de la bourgeoisie juive de Pologne. Dans La Corne du bélier , L’Esclave , Le Magicien de Lublin apparaissent des éléments fantastiques qui dominent ses recueils de contes. L’intrusion du fantastique et du démoniaque permet à Isaac Bashevis Singer de révéler symboliquement la face d’ombre de ses personnages, leurs frustrations et leurs obsessions, cela dans le cadre des superstitions et des croyances du monde semi-rural du shtetl ou d’une New York de cauchemar. Le prix Nobel décerné en 1978 à Isaac Bashevis Singer consacre l’originalité de son talent et de l’univers qu’il a construit. Mais le geste des jurés de Stockholm va au-delà: il rend hommage pour la première fois à la littérature d’un groupe non territorial et non étatique, méconnue jusque-là à cause de cette caractéristique même. Cependant, c’est dans le domaine de la poésie que l’apport de la littérature yiddish américaine est le plus marquant. Deux courants principaux décrivent son itinéraire. Di Yunge (les jeunes) se dotèrent d’une revue (Yugnt , puis Literatur , enfin Literarishe Shriftn ), où ils publièrent aussi bien leurs vers que leurs textes théoriques. Poètes impressionnistes, ils refusaient de faire de la poésie le véhicule d’idées et de concepts pour s’attacher à rendre les impressions sensorielles fugaces par l’image et par la musicalité, se réfugiant dans les demi-teintes et les demi-tons presque verlainiens. Avrom Liessin, Yehoash, Roisenblat, Joseph Rolnik, Mani-Leïb, Zisha Landau, I. J. Schwartz figurent parmi les auteurs les plus représentatifs de cette école. Deux poètes, après s’être identifiés avec ce mouvement, poursuivirent leur œuvre en solitaires. Moïshé-Leïb Halpern (1886-1932) est le poète par excellence de la ville dont il rend la trépidation et la violence par ses techniques expressionnistes. H. Leivick (1888-1962) poursuit dans son œuvre dramatique et poétique une quête métaphysique et morale qui soulève les problèmes du bien, du mal, de la responsabilité individuelle et collective, du destin de l’homme devant les forces mystérieuses qui le gouvernent (Le Golem , La Comédie du salut , Le Royaume des mendiants , Aux jours de Job , Chants pour l’éternité ).

L’introspectionnisme (In Zikh ), mouvement né dans les années 1920, cherchait à réaliser une unité organique entre la pensée et l’émotion, entre l’intellect et la sensation. L’apport essentiel de ces auteurs imprégnés de culture juive mais aussi, à l’inverse de leurs aînés, de culture occidentale contemporaine, se trouve non pas dans le domaine thématique, mais dans le domaine formel, où ils intègrent des techniques expérimentales qui mettent à profit les découvertes de la psychologie moderne pour stimuler l’acte créateur qui naît, d’après eux, d’un processus d’association et de suggestion, plutôt que d’idées explicites. Pour Glans-Leyeles (1889-1966), la poésie devint un mode discipliné, maîtrisé, de penser, de sentir, d’expérimenter. Jacob Glatstein (1896-1975), tout en restant fidèle aux principes novateurs, modernistes du groupe, transforme après le génocide ses vers en cris de douleur, de colère, en invectives et en anathèmes.

L’inzikhisme fut le dernier mouvement littéraire yiddish aux États-Unis à présenter une vision globale de l’art et à parler au nom d’un collectif poétique. D’autres poètes de grand talent, tel Chaïm Gradé, immigrèrent aux États-Unis après la guerre, mais furent des individus isolés.

Melekh Ravitch, qui devait quitter la Pologne dans les années 1930, fut un des fondateurs du mouvement Khaliastre (La Bande) et l’un des introducteurs de l’expressionnisme et du futurisme dans la poésie yiddish. Dans ses poèmes, aux symboles cosmiques, souvent ésotériques, il exprime sa philosophie panthéiste inspirée de Spinoza (Chants nus , Continents et Océans , Les Chants de mes chants ...).

L’Union soviétique

La révolution russe rallia un grand nombre de jeunes créateurs de langue yiddish. L’avènement du nouveau régime favorisa l’éclosion d’une intense vie culturelle: publication de revues (Eïgens , Der Shtern , Der Shtrom , Roïte Velt ...), fondation de maisons d’édition, d’écoles, d’instituts scientifiques dirigés par des historiens comme Tzinberg ou Max Erik.

Dans cette atmosphère propice, une pléiade de poètes s’épanouit, emportés par l’ardeur générale, participant à toutes les recherches formelles que suscite le bouillonnement intellectuel du pays. Les œuvres élégiaques et lyriques d’Izi Kharik, Leïb Kvitko, Shmuel Halkin introduisent la beauté et la mélancolie du paysage russe, les bruits, les senteurs, les saveurs de cette terre qu’ils ont tant chérie. Les vers d’Itzik Fefer, surtout dans son évocation de l’extermination du peuple juif par le nazisme, sont animés du souffle de l’épopée.

Des poètes expressionnistes comme Moshe Kulbak et Peretz Markish reviennent de leurs séjours dans l’Allemagne de Weimar et dans le Paris des surréalistes après avoir participé à la fondation en Pologne (Vilno, Varsovie) du groupe poétique Khaliastre .

Moshe Kulbak avait déjà publié un long poème (Biélorussie ), un drame (Jacob Frank ) et un roman (Le Messie ben Ephraïm ), tous trois traversés par les recherches et les courants nouveaux qui animent le foisonnement artistique du Berlin des années 1920. De retour à Vilno, puis installé à partir de 1928 à Minsk, il continue à produire des œuvres d’une grande variété: des poèmes, Vilno , Bourié et Bénié sur la grand-route , un bref roman inspiré par la révolution où se mêlent réalisme et fantastique, mystique juive et christique. Childe Harolde de Diesne , long poème satirique, Di Zelmenianer (La Tribu des Zalmeniens ), chronique humoristique de la révolution bolchevique en milieu juif, une comédie, enfin, dont les répétitions sont interrompues par la censure. M. Kulbak réussit à jeter un pont entre le monde juif traditionnel et les formes nouvelles qu’emprunte alors la littérature.

La fougue et le tempérament de Peretz Markish dominent la littérature yiddish de ces années. Après un séjour en Occident, puis au contact des futuristes et des formalistes russes, il réussit peut-être le mieux à faire passer les ruptures d’un monde en plein bouleversement, par son souffle, ses audaces verbales et rythmiques (Volin , Di Kupe , Radio , Fun der Heïm , Zkeïnes ...).

Des personnalités tout aussi puissantes se dégagent dans la prose yiddish: David Bergelson avec ses romans et ses nouvelles qui procèdent tantôt par petites touches impressionnistes, tantôt par grandes fresques réalistes; Der Nister, dont les contes symbolistes et fantastiques déroutent par leur mystère et par leur effet d’envoûtement. Cette culture fut bâillonnée par le stalinisme, ses créateurs déportés, exterminés, les uns à la fin des années 1930 (Izi Kharik, Moshé Kulbak), les autres en 1952.

La Pologne et les pays limitrophes

La guerre de 1914-1918 avait ruiné, déraciné, paupérisé la majeure partie de la population juive. Dans les années qui suivirent l’indépendance, la misère et l’antisémitisme croissants contraignirent de nombreux journalistes, écrivains et poètes à s’exiler. Ceux qui restaient déployèrent une activité d’autant plus grande et réussirent à faire de la Pologne un des centres les plus créateurs dans le domaine de la culture yiddish. Des maisons d’édition, une presse quotidienne et périodique (plus de mille titres pour cette période) se développèrent, un système scolaire ramifié vit le jour, des instituts de recherche juives se créèrent (le Yivo).

La poésie va de la simple expression lyrique d’une sensibilité particulière à l’expérimentation intellectuelle moderniste et hermétique, souvent d’un symbolisme très riche, aux images et à la composition audacieuses. Zeïtlin, tout en combattant l’expressionnisme, lui emprunte de nombreuses techniques pour les mettre au service d’une inspiration mystique aux accents puissants. L’œuvre d’Itzik Manguer réussit à transposer des personnages du Pentateuque, du Midrash, du Rouleau d’Esther, dans le shtetl d’Europe orientale, leur prêtant les gestes, les actes, la vision du monde et surtout le parler savoureux des petits artisans impécunieux qui peuplaient ce milieu (Medresh Itzik , Khumesh un meguile lider ). D’autres poèmes, souvent des ballades, d’inspiration symboliste expriment sa révolte de «mauvais garçon», son aspiration à la sainteté d’un Baal Shem Tov, à l’harmonie avec l’Univers, à une sérénité que la couleur bleue incarne pour lui. Eliezer Steinberg écrit alors ses meilleures fables, puisant à la fois aux sources spécifiquement juives et aux sources classiques qu’il adapte au milieu qui est le sien. D’autres poètes de talent apportent à la littérature yiddish mondiale une contribution qui est loin d’être négligeable. I. Shtern dont la sensibilité panthéiste s’exprimait dans une technique expressionniste, B. Shnaper, lyrique et révolté, victimes du nazisme, ne purent donner toute leur mesure. Ceux qui parvinrent à s’échapper continuèrent leur œuvre en U.R.S.S., en Europe occidentale ou en Amérique (Y. Emiot, B. Heller, M. Shoulshtein, M. Waldman). Trois femmes enrichirent cette poésie d’une tonalité particulière: Kadia Molodowska avec ses poèmes pour enfants, Reïzl Zekhlinski avec ses vers brefs aux visions fulgurantes et Myriam Ulinover qui s’inspire des Tkhinès dans ses deux recueils (Maïn bobes oïtzer : Le Trésor de ma grand-mère, et Shabès ). Des écoles littéraires apparaissent à Vilno (Yung Vilné, avec H. Glick, H. Gradé, A. Kaczerguinski, A. Sutzkever, E. Vogler, L. Wolf...) et à Lodz (Yung Yiddish, dont les membres se regroupent autour de Broderson et de Adler).

Mais ce fut Varsovie qui fut le centre de la création littéraire en yiddish. Le siège de son association d’écrivains «Tlomatzké Draïtzn» (le 13 de la rue Tlomacka) devint un véritable pôle d’attraction. À un moment ou à un autre, on pouvait y rencontrer chacun des poètes mentionnés, des journalistes et des prosateurs. Parmi ces derniers, les aînés étaient des romanciers réalistes comme Nomberg, Segalowitch, I. J. Trunk, Schneour, qui se sont attachés à dépeindre la vie des couches populaires, leurs tribulations et leurs luttes pour survivre, sentant, peut-être, que ce monde était voué à la disparition. Les plus jeunes, comme Burstein, Grin, Horontchik, Kaganowski, I. J. Singer, I. Bashevis Singer, A. Katzizné, transformèrent ces tendances réalistes en y introduisant soit des éléments naturalistes soit des éléments fantastiques et en élargissant la thématique à des aspects de la vie juive qu’ils découvrirent plus tard dans leurs nouveaux pays d’insertion.

Le génocide et après

La Seconde Guerre mondiale anéantit la littérature yiddish en Pologne et dans le reste de l’Europe de l’Est. Des écrits nous sont parvenus des ghettos et des camps de concentration, comme Dos lid fun oïsgehargetn yidishn folk (Le Chant du peuple juif assassiné ) de Itzhok Katzenelson qui retrouve les accents des prophètes de la Bible pour parler de cette vallée d’ossements qui n’est pas promise à la résurrection.

Les exécutions de l’ère stalinienne détruisirent l’un des centres les plus florissants de cette littérature. Et seule la dispersion du peuple juif permit sa survie et la perpétuation de sa littérature. Elle survécut aux États-Unis, en Amérique du Sud (en particulier en Argentine), en Europe de l’Ouest, à Paris notamment qui, dès la fin du XIXe siècle, était devenu une plaque tournante pour les migrations juives et pour la culture yiddish.

Dans la période de l’entre-deux-guerres, la vie sociale et culturelle de la communauté s’y était organisée: landsmanshaftn (associations d’originaires), presse (entre 1929 et 1939, 127 journaux et périodiques, parfois éphémères, furent publiés), théâtres, partis politiques. Ces activités furent reprises après la guerre, malgré les persécutions du régime de Vichy et l’extermination.

La littérature yiddish présentait en France, comme partout ailleurs, une grande diversité de genres. La presse restant un moyen d’expression privilégié, elle produisit une abondance d’essais: politiques (L. Leneman), socio-culturels (L. Domankievitch), de critique littéraire (M. Litvine, L. Berger), de critique d’art (B. Frenkel), d’érudition (J. Bernfeld, N. Gruss), d’histoire (M. Borwicz). La prose littéraire (romans, nouvelles) a eu quelque mal à s’acclimater à Paris. Par manque de temps pour pousser des racines profondes dans cette terre, elle continua pour l’essentiel à tirer son inspiration de l’Europe de l’Est. Elle parvint néanmoins à intégrer des éléments à la fois formels et thématiques empruntés à son nouveau pays d’insertion (M. Dluznovsky, A. Veïtz, W. Wiewiorka, O. Warszawski, B. Shlevin avec Les Juifs de Belleville , E. Kaganowski et plus récemment Menuha Ram). Le théâtre, phénomène sociologique autant que littéraire, inspira de rares auteurs yiddish en France (H. Slovès: Baruh d’Amsterdam ...).

Par contre, la poésie yiddish trouva à Paris un terrain favorable. Moins tributaire pour son inspiration de l’enracinement dans un milieu social, peut-être même stimulée par les modes d’être éphémères et par l’atmosphère de Paris, ville mythe pour les créateurs du monde entier et plus particulièrement pour ceux d’Europe de l’Est, elle suscita une pléiade de poétesses (P. Halter, T. Zisman, R. Kope...) et de poètes (E. Vogler, M. Waldman, L. Eichenrand, M. Shulshtein...). Elle reste encore maintenant le centre de création yiddish le plus important d’Europe: une presse (sept publications différentes), la plus grande bibliothèque yiddish d’Europe (la bibliothèque Medem), un renouveau d’intérêt pour la langue et la culture yiddish dans le cadre universitaire et extra-universitaire et la présence notable de journalistes, d’essayistes, de prosateurs et de poètes.

Israël

La littérature yiddish survécut également en Israël. Sur cette terre, elle arriva avec les premiers pionniers. Le mérite en revient en particulier à des poètes comme Yosef Papiernikov ou comme U. Z. Grinberg qui continua à écrire non seulement en hébreu mais aussi en yiddish. Après la guerre, la littérature yiddish, surtout sa poésie, y connut une véritable renaissance.

Le groupe Yung Isroel (Jeune Israël) se réunit autour de la revue Di goldene Keyt (La Chaîne d’or ), animé par Avrom Sutzkever, un des plus prestigieux poètes yiddish contemporains. Fixé en Israël depuis 1947, rescapé du ghetto de Vilno, il réussit à créer une synthèse poétique, chantant l’anéantissement et la renaissance du peuple juif (La Forteresse , La Rue juive , La Ville secrète , Ode à la colombe , Dans le Sinai , Terre spirituelle ...).

Un paradoxe en action

La littérature yiddish est une littérature paradoxale: elle se présente comme une dans sa diversité et son éparpillement. Elle naît d’un acte de rébellion contre la tradition tout en intégrant celle-ci. Elle se perçoit comme ayant une mission à remplir, elle est donc militante par essence, quelles que soient ses formes (ce qui ne signifie nullement inféodée à une idéologie), car elle doit lutter pour se créer comme pour survivre. Pour des raisons historiques, elle est hantée par le sens du destin national et collectif du groupe: ce qui exclut d’emblée le luxe de l’art pour l’art et suppose que l’éthique et l’esthétique ne peuvent être dissociées. Paradoxale, enfin, elle l’est par sa vitalité face à l’anéantissement et à la diminution de son lectorat.

3. Théâtre

Le théâtre yiddish doit être examiné sous son double aspect: comme théâtre de répertoire et comme phénomène social, déterminé par des circonstances historiques particulières, liées aux sociétés d’insertion (mesures discriminatoires, interdictions, précarité économique et géographique) et à la société juive (rapports à la tradition judaïque, interdictions rabbiniques, migrations). Pour naître et se développer, il dut trouver les formes susceptibles de répondre à cette double emprise. Il le fit en trois étapes principales: la période médiévale, dont les caractéristiques se firent sentir jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, sa diversification au cours du XIXe siècle, jusqu’à l’émergence du théâtre yiddish moderne à partir de cette période, correspondant à la sécularisation de la société juive, à l’éclosion de la littérature yiddish et à la multiplication des centres d’implantation des communautés.

De la période médiévale à la fin du XVIIIe siècle

La période médiévale va fixer le canon du théâtre yiddish: d’une part, on voit naître la langue même – le yiddish – dans laquelle ce théâtre est appelé à se développer; d’autre part, on assiste à l’apparition dans les sociétés chrétiennes du personnel théâtral (troubadours, trouvères, bateleurs...), d’un répertoire (mystères, moralités...), et de formes d’expression telles que le carnaval et, plus tard, la commedia dell’arte. Le théâtre yiddish sera influencé par ces formes d’expression, mais représentera aussi une réaction à l’image qu’elles offrent du juif et à son exclusion en tant que personne du monde du spectacle (même s’il existait des compagnies ou des acteurs juifs dans certaines cours, comme celles de l’Italie du XVIe siècle). En même temps que des troupes chrétiennes sillonnent l’Europe, se fondent des compagnies juives qui établissent leurs propres itinéraires en fonction de leur auditoire potentiel: les communautés juives pour lesquelles elles vont élaborer un répertoire et des personnages appropriés qu’elles présentent lors de cérémonies familiales ou en public.

La fête de Purim – liée à la délivrance des juifs de l’empire perse au temps d’Assuérus, telle qu’elle se trouve rapportée dans le rouleau d’Esther (Megilath Esther) – va jouer un rôle primordial dans la naissance du théâtre yiddish. Cette célébration, qui se situe le 14 adar (février-mars), invite à la transgression et aux jeux sur l’identité, d’où l’inversion des hiérarchies sociales et l’usage répandu des masques. Là se trouve la matrice même du théâtre yiddish: le purimshpil . Le répertoire comporte au départ la représentation du rouleau d’Esther (avec des variantes) par un ou plusieurs acteurs (amateurs ou professionnels déguisés ou masqués). À cause des interdits rabbiniques, probablement, les fragments les plus anciens dont nous disposons remontent au début du XVIe siècle. Le premier texte complet qui nous soit parvenu est l’Ahashveresh-shpil de 1697. Par la suite, le répertoire des purimshpiln se diversifia pour inclure d’autres épisodes bibliques (La Vente de Joseph , David et Goliath , XVIIIe siècle, Le Sacrifice d’Isaac , Hannah et Perminah , La Sagesse de Salomon , XIXe et XXe siècle). Si le purimshpil offre des variantes et improvisations dans son contenu et son texte, par contre, sa structure demeure fixe. Elle comporte trois moments: le prologue (bénédiction des spectateurs, résumé de la pièce, présentation des acteurs); l’action, qui raconte le rouleau d’Esther ou un autre épisode de la Bible; enfin, l’épilogue (nouvelles bénédictions et demande codifiée et rimée de récompense). Les purimshpiler (étudiants des yeshivoth, apprentis, artisans, mendiants ou acteurs professionnels souvent en compétition) incarnent un certain nombre de personnages types issus de la tradition qui s’apparentent par bien des aspects à ceux de la commedia dell’arte: le letz ou marshalik – meneur de jeu –, le loïfer et le païatz – respectivement messager et clown. Viennent se mêler à eux les héros de l’histoire représentée et des caricatures des membres de la communauté, surtout des notables. Des éléments comiques, des obscénités, des allusions érotiques truffent la représentation. Le jeu est à la fois déclamatoire, excessif dans la gestuelle et agrémenté d’interludes dansés, chantés et musicaux.

La diversification du théâtre yiddish au XIXe siècle

Après les partages de la Pologne à la fin du XVIIIe siècle, les masses juives rassemblées sur les marches des grands empires, surtout austro-hongrois et tsariste, vont être soumises à diverses formes de discrimination et à des réglementations particulières. Leur vie tant sociale que culturelle se trouve bouleversée par les transformations économiques et politiques que connaissent ces pays au cours du XIXe siècle. Le théâtre yiddish va changer de façon radicale.

Après avoir sillonné l’Europe de l’Est, un groupe de chanteurs et d’acteurs itinérants, les Broder Zinger, se fixe à Jassy (Roumanie) en 1868 et forme l’embryon d’une troupe. Sa rencontre en 1876 avec Avrom Goldfaden va être déterminante. Le théâtre yiddish va alors obéir à deux impératifs: instruire et distraire. L’enjeu didactique, issu du mouvement des Lumières, tente de combattre l’«obscurantisme» des masses, incarné pour les éclairés (maskilim ) par le hassidisme. Dès 1796, Aharon Wolfson-Halle écrira Leichtsin und Fremmalia , mais ce sont surtout des auteurs plus tardifs, comme S. Ettinger (Serkele , 1863), I. Aksenfeld (La Recrue juive , 1861), Levinsohn (La Foire d’empoigne ), A. B. Gottlober (Le Voile nuptial ) et surtout Mendélé Mokher Seforim (La Dîme ), qui créeront sur le mode comique et satirique de dénonciation sociale le répertoire du théâtre de cette époque. Quant aux pièces de divertissement, elles s’inspireront plus directement de la tradition du purimshpil, même si certaines auront aussi des visées moralisantes. Le fondateur de ce genre est Avrom Goldfaden (1840-1908). Poète, acteur, dramaturge, compositeur, il écrivit plus de soixante pièces: farces, comédies, satires sociales, mélodrames, opérettes à thèmes bibliques et contemporains (Shmendrik , 1877; Le Fanatique , 1880; Shulamis , 1880; Bar-Kokhba , 1887; La Sorcière , 1887; Ben-Ami , inspiré du Daniel Deronda de George Eliot).

Avec le dernier tiers du XIXe siècle s’amorce la grande émigration des juifs d’Europe centrale et de l’Est, à la suite d’une recrudescence de l’antisémitisme et de la multiplication des pogromes. Commence alors la grande errance du théâtre yiddish. Celui-ci essaime alors dans le monde entier, au gré des troupes itinérantes. En plus de l’Europe centrale et de l’Est, deux centres se dégagent. En Europe occidentale: l’Angleterre, avec surtout le Whitechapel de Londres, passage et halte obligés de tous les hommes de théâtre en route vers l’Amérique et Paris, autre plaque tournante de cette migration, où Goldfaden établit une troupe et une école dramatique éphémères. Mais c’est New York qui devient au cours de ces années la capitale du théâtre yiddish. Acteurs et actrices règnent alors sans partage sur le Lower East Side, formant, comme au Moyen Âge, de vraies familles de saltimbanques. Un théâtre populaire, indifférent aux problèmes esthétiques, voit le jour. Des troupes rivales s’installent avec leurs auteurs attitrés: le Rumenian Opera House avec le «professeur» Hurwitz qui, pendant plus de vingt ans (de 1886 à 1910), écrivit et monta une pièce par semaine; ou avec Shomer (1849-1905), un des écrivains les plus populaires qu’on fit venir de Russie et qui adapta des centaines de romans et de pièces; l’Oriental Theater, avec Joseph Latteiner (1853-1935) qui en composa quelque quatre-vingts. Pots-pourris de mélodrames larmoyants et d’opérettes historiques, ces pièces ne tardèrent pas à être dénoncées par l’intelligentsia yiddish qui s’insurgeait contre cette vulgarité (shund ) et prônait d’autres formes de théâtre au nom de sa mission d’Aufklärung . Celle-ci se traduisit par l’apparition d’un théâtre beaucoup plus ambitieux, tant dans son répertoire que dans sa scénographie.

Le théâtre yiddish et la modernité

Le répertoire

Aux États-Unis, au tournant du siècle, la personnalité la plus marquante fut celle de Jacob Gordin (1853-1909). Tenant des Lumières, disciple de Tolstoï, autodidacte, il consacra son inépuisable énergie au journalisme et au théâtre. En s’appuyant sur une pléiade d’acteurs, il donna un essor sans précédent à la scène yiddish de New York et d’Europe par la traduction et l’adaptation d’innombrables pièces du répertoire international (Shakespeare, Schiller, Hugo, Gogol, Gorki, Ibsen...) et par sa propre production. Malgré l’écriture lâche et bâclée de ses pièces, son optique naturaliste l’incite à doter ses personnages d’une certaine vérité psychologique et crée une tension qui ne manque pas d’efficacité dramatique. Parmi ses quelque soixante-dix œuvres, il faut citer Sibérie (1891), Le Roi Lear juif (1892), Le Pogrom (1893), Mirele Efros (1898), Le Capitaine Dreyfus (1898), L’Extermination (1899), Dieu, l’homme et le diable (1900, inspiré de Faust), Le Serment (1900), Khasyé, l’orpheline (1903), L’Homme sauvage (1905)... Des auteurs comme Leon Kobrin, avec ses traductions de Hamlet , de Faust , et des pièces telles que Yankl Boïtré, ou le Jeune Paysan ; Z. Libin avec le Le Juif éternel , David et Goliath ou La Sentence ... suivaient l’exemple de Gordin dans leur tentative, souvent naïve et maladroite, de réformer le théâtre yiddish.

Les classiques avaient déjà tenté de constituer un répertoire théâtral digne du reste de la littérature yiddish: Mendélé Mokher Seforim (1836-1917) avec La Dîme , La Conscription ; Cholem-Aleikhem (1859-1916) avec des pièces comme Le Divorce (1887), La Réunion (1887), Yaknehoz (1894), Mazel-Tov (1899), Le Trésor (1908) et surtout avec les adaptations de ses récits ou de ses romans faites par d’autres ou par lui-même, Pasternak , Stempeniu , Tevié le Laitier (1919), Il est difficile d’être juif (1920), I. L. Peretz avec La Chaîne d’or , L’Enchaîné , La Nuit sur le vieux marché , etc., sortes de poèmes dramatiques aux thèmes mystiques qui rejoignent certains courants expérimentaux du théâtre contemporain. Ces auteurs suscitèrent des disciples: Chalom Asch, avec Dieu de colère (1907), Motke le Voleur ; David Pinski, avec La Famille Tsvi , La Tragédie du dernier Juif , Yankl le Forgeron (1906), Chacun son dieu (1912); Peretz Hirschbein, avec ses idylles rurales comme Les Filles du forgeron , L’Auberge vide , Un coin perdu , Vertes Prairies ; S. Anski avec Le Dybbuk (1917); H. Leivick avec des pièces à visée réaliste et politique telles que Le Royaume pauvre (1926), Banqueroute (1927), Hirsh Leckert (1931), La Comédie du salut (1934), ou des poèmes dramatiques à thèmes messianiques comme Le Golem en 1921 et surtout, après le génocide, Le Maharam de Rotenberg (1945), Mariage à Fernwald (1949), Aux jours de Job (1953). Nombre d’autres écrivains yiddish éprouvèrent le besoin de s’exprimer en tant que dramaturges. Ce fut le cas d’Aaron Zeïtlin avec une dizaine de pièces, écrites entre 1929 et 1939, qui explorent sur le mode tragique ou comique les diverses quêtes du salut et de la rédemption, toutes menant à l’échec (Jacob Frank , Villejuive ...). En Union soviétique, la plupart des romanciers et des poètes mirent à profit le développement du théâtre yiddish pour s’exprimer par la scène (David Bergelson, Moïshe Kulbak, Peretz Markish, Shmuel Halkin, Lipe Reznik, Aaron Kushnirov, Dymov, Vaïter, M. Daniel). En Pologne, les contributions les plus intéressantes furent celles de Yakev Preger (La Tentation , Simkhé Plakhté ), d’Alter Kacyzné (Le Duc , Sholem Schwartzbard ...), de Leïb Malakh (La Crue , Mississippi ).

Il n’est pas facile de se faire une idée générale du répertoire du théâtre yiddish. À partir de la fin du XIXe siècle furent créés des milliers de pièces, mélodrames et opérettes, dont certains ne furent jamais consignés par écrit. Le répertoire littéraire n’est pas simple à établir non plus. Si l’on prend comme point de départ Serkele de Ettinger (1863) et que l’on s’en tient aux pièces publiées et montées dans l’entre-deux-guerres, avec leurs diverses variantes, on aboutit à 1 129 unités, de valeur très inégale, sans compter les adaptations d’œuvres en prose.

Théâtre d’art et troupes expérimentales

Tandis que le théâtre commercial – mélodrames et opérettes – bat son plein à New York, des troupes de jeunes amateurs issus du mouvement ouvrier, ambitieuses et élitistes dans leur aspiration à une culture de qualité, transforment l’art théâtral en mettant l’accent non plus sur l’acteur, mais sur le metteur en scène et la cohésion de l’ensemble. Le Cercle ouvrier fonde en 1916 la Folksbine (Scène populaire), qui crée un studio et fait appel à des metteurs en scène professionnels comme Buloff, David Herman, Leib Kadison... En 1925, sous l’égide du quotidien communiste Fraihaït , s’organise le studio Artef, dirigé par Benno Shnayder, qui adopte le style constructiviste et expressionniste en vogue. Il est encouragé dans les années 1930 par le Federal Theater Project, mis en place par le New Deal.

À l’incitation de ces troupes d’amateurs, des théâtres d’art professionnels virent le jour à New York: en 1918, le Théâtre d’art de Maurice Schwartz au Irving Place Theatre, ou le Naïer Teater au Madison Square Garden Theater. Les deux troupes adoptèrent les principes du théâtre européen pour les aspects stylistiques et renoncèrent au vedettariat au profit d’un travail collectif. D’autres expériences, souvent éphémères, furent faites dans le même sens (le théâtre de Rudolph Schildkraut, l’Ensemble artistique, la Nouvelle Troupe dramatique yiddish). Le seul théâtre d’art qui eut une certaine longévité fut celui de Maurice Schwartz qui connut un quart de siècle d’activité à peu près continue avant de disparaître en 1953.

En Europe orientale, malgré l’interdiction du théâtre yiddish promulguée par le gouvernement tsariste en 1882, on compte au début du XXe siècle une quinzaine de troupes. Leur circulation à travers le monde entier et leurs fréquentes scissions permettent la diffusion très rapide de conceptions dramaturgiques nouvelles. Esther-Rokhl Kaminski fonde, avec sa Troupe littéraire (1908), une des plus grandes dynasties du théâtre yiddish. En 1908, Peretz Hirshbein organise à Odessa le Théâtre artistique juif qui adopte une approche scénique symboliste, «un théâtre stylisé», qui après une tournée dans la zone de résidence va gagner les États-Unis. La troupe de Vilno, créée en 1916, en tournée notamment avec Le Dybbuk d’Anski, va laisser à New York un de ses meilleurs acteurs, Buloff, qui contribuera à y implanter les techniques expressionnistes qui la caractérisent. Des salles s’ouvrent un peu partout – à Riga, à Odessa, à Lod ぞ. À Varsovie seule, des dizaines de théâtres voient le jour, parmi lesquels le V.Y.K.T. (Varshever yiddisher kunst teater) de Turkow et le Jeune Théâtre de Weichert. Les techniques dramaturgiques qu’ils développent se situent dans la mouvance des avant-gardes européennes, et notamment de Stanislavski. En Roumanie, berceau du théâtre yiddish, le poète Y. Sternberg va impulser tout un mouvement novateur. Des opéras de poche (kleinkunst teater), des théâtres de marionnettes apparaissent également.

L’Union soviétique présente un cas unique dans l’histoire du théâtre yiddish: pendant près de vingt ans (de 1919 à 1948), ce théâtre, malgré les multiples tribulations et persécutions dont il fut l’objet, bénéficia de subventions étatiques, c’est-à-dire d’une stabilité qui favorisa recherche et expérimentation.

Bien avant la révolution, à Petersbourg, des organisations, des associations, des sociétés littéraires juives se multiplient. En 1910, il existe déjà un studio juif. Avec l’éclosion soudaine de toutes les formes d’expression culturelle en yiddish, le théâtre prend une importance accrue. C’est dans ce contexte que la Société théâtrale juive, pour créer son studio, va faire appel à Granovski. Formé au théâtre allemand par Max Reinhardt, son style est proche de l’expressionnisme, du grotesque ou du théâtre synthétique. Sans connaissance particulière du yiddish, il va s’entourer d’élèves et d’acteurs issus du milieu juif et une fois à Moscou, en 1920, s’associer avec A. Efros qui y dirigeait déjà une école théâtrale yiddish. Le Studio, résultat de cette fusion, devient ainsi une institution officielle: le Théâtre de chambre juif d’État (G.O.S.E.K.T.), décoré par Marc Chagall, puis en 1925 le Théâtre juif d’État (G.O.S.E.T.), qui continuera ses activités sous la conduite de Mikhoels et de Susskin après le passage de Granovski à l’Ouest (1928).

Le caractère unique du théâtre yiddish d’Union soviétique est lié en premier lieu aux conceptions dramaturgiques de Granovski, reprises et développées par Mikhoels: l’attention aux techniques corporelles, au mouvement, au geste, à la rigueur quasi mathématique des constructions scénographiques. L’influence des peintres qui conçurent les décors des mises en scène – Chagall, Altman, Rabinovitch, Falk – fut aussi déterminante. Entre 1920 et 1948, date de l’assassinat de Mikhoels qui sera suivi par l’arrestation progressive des principaux créateurs de langue yiddish et par leur exécution en 1952, le théâtre yiddish de Moscou montera, entre autres, Uriel Acosta , Le Juif éternel , des adaptations de Cholem-Aleikhem (Les Agents , Mazel-Tov , Le Gros Lot ou 200 000 , Menakhem-Mendl ), L’Aube de Vaïter, Le Dieu de vengeance de C. Asch, La Sorcière de Goldfaden, Le Carnaval des masques juifs , Trois Petits Raisins juifs , Les Fourberies de Scapin , La Nuit sur le vieux marché de I. L. Peretz, Purimspiel , Le Golem de H. Leivick, Le Rêve de Jacob , Le Dixième Commandement , Les Voyages de Benjamin III , de Mendélé Mokher Seforim, Le Sourd de D. Bergelson...

Théâtre et cinéma

Le cinéma yiddish, qui eut une existence très éphémère (une centaine de films environ), apparaît comme un dérivé du théâtre. Il en épouse le clivage: d’une part, des «vaudevilles», opérettes et mélodrames, d’autre part, des pièces du répertoire classique, en yiddish et en traduction. Les premiers, sur la scène comme à l’écran, puisaient dans le folklore thématique et musical juif. Mais il manquait au cinéma le contact direct entre les acteurs et le public, qui faisait l’essentiel de la réussite de ce type de théâtre. Ces films marquèrent néanmoins la «comédie musicale» américaine.

Un cinéma plus ambitieux, à l’instar du théâtre d’art, vit également le jour. Granovski réalisa, après son départ d’Union soviétique, Vivre, ou la Chanson (1932), Les Aventures du roi Pausole (1936). Toute une série de pièces filmées ou d’adaptations de romans furent réalisées dans les années 1930: Uncle Moses d’après C. Asch, 1932; Der yidisher keniq Lear , Mirele Efros , Mentch, man un taïvl de Gordin, 1935; Mir kumen on , documentaire d’Aleksander Ford, 1935; Yidl mitn fidl , 1936; Dans les bois de Pologne , d’après J. Opatoshu; Grine Felder de P. Hirshbein... et surtout Le Dybbuk d’après la pièce d’Anski, adaptée par A. Kacyzné et réalisée par Michal Waszynski en 1938, qui reste le chef-d’œuvre du cinéma yiddish. Malgré ses limites, ce cinéma disposait dans l’entre-deux-guerres d’un public potentiel de dix millions de spectateurs à travers le monde. Avec le génocide, la production cinématographique yiddish s’arrête (à quelques exceptions près) aussi bien en Europe qu’aux États-Unis. Étant donné le caractère industriel du septième art, le public yiddish était désormais trop restreint pour attirer les investissements.

Les années noires

Les activités théâtrales, à l’instar des autres activités culturelles, se poursuivirent dans les ghettos et même dans les camps, certaines étant imposées par la Gestapo pour son divertissement (comme des cafés-théâtres du ghetto de Varsovie ou de Vilno). Mais surtout elles furent comprises par la population juive elle-même comme une des formes de résistance à l’extermination. Ainsi, dans le ghetto de Varsovie, on compte à certains moments six théâtres professionnels qui jouent tous les soirs et deux fois le dimanche, accueillant de 30 000 à 50 000 spectateurs par semaine. On puise dans le répertoire classique, mais on choisit de préférence des pièces à caractère national ou historique à thèmes messianiques ou de résistance. Au milieu de l’horreur, de nouvelles œuvres naissent, en yiddish ou en hébreu, d’inspiration souvent biblique ou prophétique. Proses, poésies, mais aussi drames et tragédies (I. Katzenelson...) seront lus ou montés presque immédiatement, avant d’être enterrés afin d’être préservés pour les générations futures.

Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1946, des rescapés regroupés dans les camps de personnes déplacées essaieront de mettre en scène leurs expériences ou reprendront le répertoire d’avant guerre. On estime à une soixantaine le nombre de groupes d’amateurs qui ont fonctionné dans ces camps de regroupement.

Après le génocide, le théâtre constitua une des modalités selon lesquelles la société juive tenta de revivre. Mais le théâtre, plus que les autres formes artistiques, est une expression collective, il fut donc plus meurtri encore que le reste de la culture yiddish. Aux États-Unis, le Théâtre d’art de Maurice Schwartz, les troupes d’amateurs, comme le Folksbine, et des survivants immigrés après guerre livrèrent une bataille perdue d’avance. Dans le cadre de festivals, des tentatives sont faites pour redonner vie au théâtre yiddish.

Au Canada, en Argentine, en Australie, en Afrique du Sud, l’immigration d’après guerre insuffla une certaine vitalité au théâtre yiddish, mais les troupes ne pouvaient être permanentes, par manque de public et pénurie d’acteurs. La situation ne fut guère plus brillante en Europe occidentale. Il y eut bien une tentative de faire revivre le P.Y.A.T. (Parizer yiddisher arbeter teater) ou le Y.K.U.T. (yiddish kunst teater) avec des dramaturges comme Chaïm Slovès (La Défaite de Haman , Barukh d’Amsterdam ...), mais là encore, après quelques représentations, quelques tournées, le travail devait s’interrompre. Bruxelles est la seule ville où un théâtre yiddish, mêlant amateurs et professionnels, a pu continuer de jouer avec une certaine périodicité.

Seule l’Europe de l’Est, avec son système de gestion étatique de la culture, fut en mesure d’organiser des théâtres yiddish. Ce fut le cas de l’Union soviétique jusqu’en 1952, date à laquelle fut anéantie l’intelligentsia yiddish. La Roumanie, berceau du théâtre yiddish, établit deux troupes, l’une à Bucarest (1948), l’autre à Jassy (1949). En Pologne, avec le retour des quelques centaines de milliers de réfugiés d’Union soviétique, des théâtres sans lendemain se créèrent dans différentes villes. Un seul subsiste à ce jour, le Théâtre yiddish d’État à Varsovie, qui fut celui d’Ida Kaminska et de Jonas Turkow.

C’est Israël qui connaît la plus grande activité théâtrale dans le domaine yiddish. La majeure partie du répertoire yiddish fut reprise par le théâtre hébraïque. Mais le théâtre yiddish y suscita de nombreuses troupes d’amateurs de bonne qualité et des compagnies professionnelles, à Tel-Aviv notamment. Il s’agit la plupart du temps de petites formations qui favorisent le genre du «klein-kunst» théâtre. Le théâtre yiddish connut un certain regain avec l’augmentation de l’immigration originaire des pays d’Europe de l’Est et surtout d’Union soviétique à partir de 1970, et grâce à l’intérêt accru pour le yiddish que connaît le pays depuis lors.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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